TRIBUNE K2

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LA SUITE ICI: https://cercle-k2.fr/etudes/le-patrimoine-au-peril-des-regions

Quand le général Jean-Pierre Meyer m’a aimablement proposé de donner au K2 une tribune, j’étais précisément en train de mûrir pour moi-même une réflexion inspirée par la conférence du 16 septembre 2022 à Paris où l’on m’avait convié à l’occasion des Journées Européennes du Patrimoine parce que mon livre sur Germigny venait à peine de sortir. A la fin de cette conférence, le dialogue avec le public étendu aux questions générales m’a permis de constater une chose préoccupante : on ne sait plus ce qu’est un monument historique. Quelle est la signification d’un monument historique, quel est son statut, en quoi monument historique et patrimoine recouvrent-ils des idées différentes, voici tout ce qu’il fallait éclairer, et bizarrement même face à deux fonctionnaires, fort sympathiques d’ailleurs, du ministère de la Culture. La grande question qui suscite l’inquiétude et qui devrait occuper tous les esprits, c’est comment attendre du public qu’il comprenne et défende son propre patrimoine si le concept même lui est devenu inintelligible? Surtout: le patrimoine est-il condamné quand il est écarté des métropoles qui focalisent toute l’attention? Ce grave problème, qui donne du souci à quelques-uns d’entre nous, méritait justement d’être abordé. Nous nous limiterons ici au cas des églises classées.

UNE ANNEE LITTERAIRE ?

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A ma chère collègue Hélène Sinniger, en mémoire d’une sinistre année dont, petits profs sous-payés, nous arrivions à nous distraire en évoquant, sur le quai gelé de la gare de Lyon, les adaptations géniales de Jacques Charon pour la télévision de de Gaulle.

L’année littéraire a touché à sa fin. De ces deux mois de vacances à la nature, à la mer ou à la campagne, on est revenu avec une cargaison terne d’objets convenus. C’est, comme le dit un ami, le « triomphe de la mêmeté », autrement dit même pas le triomphe de la médiocrité, mais celui de la mondialisation par le vide: partout les mêmes têtes, les mêmes thèmes, les mêmes titres, les mêmes scénarios interchangeables – personne en effet d’irremplaçable dans cette soupe imbuvable qui n’est même pas un bouillon de culture.

L'excellent Derniers païens, de Gouguenheim, remarquable en tout point.
L’excellent Derniers païens de Sylvain Gouguenheim: remarquable en tout point.

N’a-t-on donc rien écrit de valable en 2021-2022? C’est ce qu’il ne faudrait surtout pas croire. Quelques livres me sont passés entre les mains qui apportent beaucoup à la réflexion. Je n’en citerai que trois, sans aucunement les « hiérarchiser », ce type de « top » à l’américaine n’étant possible, précisément, que pour départager une production sans caractère.

Ces trois livres sont le Vrain Lucas de Gérard Coulon, Les Derniers païens, de Sylvain Gouguenheim, et L’Homme qui n’avait pas de père d’A. de Benoist. Ils réunissaient pourtant toutes les qualités nécessaires pour se retrouver sous les pleins feux de l’actualité littéraire. Ils sont premièrement d’une rigueur scientifique irréprochable, deuxièmement très innovants, et troisièmement écrits dans une langue remarquable.

Ce que Coulon, Gouguenheim et de Benoist ont fait – et cela ne concerne pas seulement ces ouvrages isolés, mais leurs œuvres respectives, considérables par leur qualité -, personne ne l’avait fait avant eux. Cela, à soi seul, ne méritait-il pas quelque attention de la part des médias? Mais nous ne sommes évidemment plus aux temps glorieux de la Radiodiffusion-télévision française que nous évoquions à regret avec Kassak au cours de nos interminables conversations téléphoniques. Nous ne sommes plus à l’époque de la mission culturelle des médias, quand la télévision diffusait le Misanthrope de Molière où le magnifique Jacques Dumesnil campait le rôle d’Alceste: « Morbleu! vil complaisant, vous louez des sottises? »

En effet, les vils complaisants louent des sottises en permanence pour mieux étouffer les productions valables qui, sauf exception (Errance, mais pour combien de temps?), sont réduites aux éditeurs confidentiels, voire aux éditeurs-escrocs, avec contrats de dupes à la clef. Aussi, ne nous lassons pas de louer les mérites de ces livres que nous venons de citer et qui donnent à penser pour une vie entière. A moins que le monde ne soit un jour prochain ravagé par le feu nucléaire à cause de la folie des nations dites « civilisées », s’il y a des livres que la postérité retiendra de 2022, ce sont ceux-là.

New Publication: ‘Germigny-l’Exempt ou les Trois Deniers de Gaspard’ by Emmanuel Legeard

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Medieval Art Research

The primary aim of this book is to situate the art and architecture of the French medieval church of Germigny-l’Exempt within the global historical context of the formation of France in the 12th and 13th centuries. A study of the architecture and iconographic programs of Notre-Dame de Germigny-l’Exempt had never been carried out before despite the church’s quite astonishing, twelfth-century clocher-porche, and its original inner portal borrowing heavily from Saint-Gilles du Gard, Laon and the royal portals of French cathedrals. Language: French

Link (publisher):https://www.editions-harmattan.fr/livre-germigny_l_exempt_ou_em_les_trois_deniers_de_gaspard_em_emmanuel_legeard-9782140278112-74061.html

Voir l’article original

DE LA GUERRE ECONOMIQUE A LA ZOMBIFICATION DES PEUPLES!

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…et des huissiers de justice en particulier…[1]

(Une réaction à l’article d’Emmanuel Legeard sur mon livre, les Stratégies d’expansion du Nouvel empire global [2])

Par Jean-François Tacheau

Jean-François Tacheau est juriste et géopolitologue de formation. Officier de réserve de la Gendarmerie nationale, il est diplômé de l’Institut supérieur de l’armement et de la défense (ISAD). Il est actuellement délégué du Nord-Pas-de-Calais auprès de la section huissier de justice de la Chambre Nationale des commissaires de justice. Ses blogs: https://blogs.mediapart.fr/jean-francois-tacheau/blog & https://tinyurl.com/jft-linkedin

Les « réseaux sociaux » ont cette particularité qu’ils permettent d’identifier et de renouer avec de vieux amis. Je n’ai pas revu Emmanuel Legeard depuis plus de 30 ans.

Après quelques échanges effectués cette année, il paraissait évident que nous partagions un certain nombre de vues, et notamment qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans ce pays, pour ne pas dire, sur cette planète.

La mise en compétition dans tous les domaines d’activité, sans frontière, amorce un processus d’aliénation particulièrement destructeur, qui conduit à une certaine forme de zombification. L’exigence de compétitivité extrême force le compétiteur à un degré de spécialisation qui lui interdit l’accès à la pensée complexe, à la philosophie, et le détourne de la politique, alors même que l’homme est l’animal politique par excellence. Par conséquent, l’aliénation par le marché, sans frein, dénature l’homme.

J’en ai eu encore ce matin un exemple très concret. Alors que j’étais en train d’examiner une procédure complexe, j’ai reçu un appel d’une personne que je ne connais pas : « Bonjour, c’est Magalie, votre prestataire de service (Nom de la Société) ! Vous êtes bien M. Jean-François Tacheau ? (Oui)… Habitant à telle adresse? (Oui)… Tout d’abord je voudrais savoir si tout va bien ? Vos proches vont-ils bien ? A quoi je lui réponds : « Venez-en directement aux faits ! » Et elle : « Mais non monsieur ! Je veux d’abord savoir si vous allez bien ! » et moi : « Ecoutez, je sais que vous déroulez un script pour formuler une proposition commerciale ! Je vous invite à sauter les étapes et à formuler directement votre proposition ! » Elle : « Mais non ! Je veux savoir comment vous allez ! » Moi : « je n’ai pas de temps pour ça ! » Elle : « Il me faut savoir comment vous allez ! »  Excédé, je raccroche.

Quand des sociétés en arrivent à imposer dans leur script (sur quelque plateforme étrangère) une prise de nouvelles, par quelque opératrice dont elles auront probablement francisé le nom (pour la confiance), pour vous vendre un produit que vous n’avez jamais sollicité, on comprend bien qu’il faut qu’elles soient particulièrement mises sous pression, et qu’elles se sont organisées de façon quasi-militaire pour vendre et rentabiliser les investissements délirants qu’elles ont été amenées à commettre pour ne pas sombrer.

Emmanuel a publié, le 11 juillet 2021, un article [3] relatif à mon livre Les Stratégies d’expansion du nouvel empire global, publié en 2001, quelques jours après les attentats du 11 septembre.

Il part du concept de guerre économique dont j’avais donné une définition et en propose une autre lecture. Dans mon livre datant de 2001, je concevais la guerre économique comme un « conflit entre groupements organisés en vue d’accroitre leur puissance, leur part de marché, et le bien-être de leurs sujets, en sachant que ce qui est gagné par les uns est perdu pour les autres, tous les moyens étant requis pour atteindre ces objectifs, exception faite de la confrontation physique immédiate et sanglante entre les pays du bloc occidental ou dans leur mouvance. »

Mais la troisième mondialisation, par ses aspects transversaux, « qui ne connait plus centre ni périphérie, et dont les acteurs sont largement déterritorialisés [3] » interdit d’une certaine façon toute lecture nationale. Il fallait actualiser, et celle-ci pourrait se comprendre comme une somme de conflits opposant des groupements supérieurement organisés à d’autres qui le seraient également ou pas du tout, conduisant à une concentration des richesses entre quelques mains en aliénant tous les autres. Et Emmanuel y voit la promotion d’une guerre de tous contre tous afin de dominer pour dominer dans une perspective « féodale » visant à « remplacer la classe moyenne indépendante des producteurs, colonne vertébrale des nations, par une classe moyenne de courtisans salariés improductifs et un lumpenproletariat de saltimbanques subventionnés. »  

Et il ajoute que si ce modèle prospère, c’est grâce à une alliance libérale-libertaire entre les grands acteurs de la mondialisation néo-libérale et les bénéficiaires « libertaires » du Système, hérauts volontiers terroristes d’un « marxisme culturel » (le « politiquement correct »), qui est en réalité un « anti-marxisme contre-culturel » utile au remplacement de la lutte des peuples comme moteur de l’histoire par la transgression sans fin des mœurs. Les peuples sont ainsi évacués de l’histoire, toute velléité de résistance est condamnée comme « populisme », et les indociles au nouvel empire global sont tenus en otage par l’intimidation majoritaire d’une masse conditionnée par une propagande médiatique uniforme, agressive et permanente. Et c’est l’analyse de cette stratégie culturelle de certaines élites qui l’intéresse.

Il est certain que ce modèle de développement conduit les hommes  à se regrouper pour construire des organisations susceptibles de rester sur le marché ; qu’il est impossible pour les plus petites structures de faire face aux monstres qui émergent dans leur secteur d’activité ; que les acteurs les moins importants doivent nécessairement faire preuve d’une véritable ingéniosité et d’une vitalité peu commune pour se restructurer, s’ils ne veulent pas tout simplement mettre la clef sous la porte ; que les acteurs les plus forts ont intérêt à faire prospérer ce modèle qui leur permet de confisquer une bonne partie des richesses, et que certains d’entre eux investissent des fortunes considérables dans les fondations, les think tanks, et les universités, pour promouvoir un modèle qui contribue à les faire monter en puissance.

Ceci est maintenant la triste réalité des professions libérales, qui sous les impulsions de la loi Macron, de la Covid, de la multiplication des contraintes et l’écrasement des prix, doivent apprendre à penser organisation et marché, avant même d’examiner la qualité de leurs propres services. Et il est également certain que l’Etat a plongé certaines de ces professions dans cette spirale de guerre aliénante, sans nécessité, et sans que cela soit nécessairement profitable à leurs concitoyens. Ainsi, les huissiers de justice ont vu les éléments constitutifs de leur droit de propriété qui faisaient (ou du moins, contribuaient à faire) la garantie du justiciable à une certaine indépendance des officiers publics et ministériels, disparaître du jour au lendemain, sans contrepartie, et ils doivent aujourd’hui se restructurer rapidement en vue de revaloriser les actifs qu’on leur a enlevés.

Aussi, si l’article d’Emmanuel est particulièrement radical, il est aussi rafraîchissant. Comme il le dit lui-même « A part celles qui s’érigent en principes d’autorité, il n’est pas « de mauvaise théorie ». Les mauvaises sont celles qui mentent sur leur statut, qui n’admettent pas qu’(…) en tout ce qui touche à l’humain, il n’y a, il ne peut y avoir que des théories, et que la validité d’une thèse n’est pas fonction de la mode.[4]» Le politiquement correct, en dénigrant tout ce qui n’émane pas de lui, interdit le raisonnement. Et l’amorce d’une pensée libre, complexe et nuancée, nécessite qu’on s’en affranchisse.

Aussi, il me parait nécessaire de répondre par l’affirmative à question qu’il me pose en fin d’article.

Emmanuel, je te remercie de l’honneur que tu m’as fait, par cet article. Et le travail à produire m’intéresse d’autant plus que cette guerre de tous contre tous, promue par quelques aventuriers et mercenaires, impacte sérieusement la profession que j’exerce, et que j’avais rejoint en espérant échapper à l’enfer délirant dans lequel cette compétition brutale enferme les hommes.

NOTES

[1] Un grand merci à Nolwenn Le Breton pour la mise en forme et la mise en ligne de cet article.

[2] TACHEAU, Jean-François, Stratégies d’expansion du nouvel empire global, L’Âge d’Homme, Lausanne, 2001. ISBN : 2825115452 EAN : 9782825115459

[3] LEGEARD, Emmanuel, « Quelques Réflexions sur les Stratégies d’Expansion du nouvel empire global de Jean-François Tacheau ».

[4] LEGEARD, Emmanuel, Le Narrataire, Presses Universitaires du Septentrion, Lille, 2002, p.6. ISBN : 2284036775 EAN 9782284036777

La Gazette du Patrimoine

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Alexandra Sobczak-Romanski m’ayant aimablement demandé un article sur Germigny-l’Exempt pour la Gazette du Patrimoine, je me suis évidemment empressé d’accepter et de rédiger l’article disponible ci-dessous, dans la série « La parole est aux experts »:

Notre-Dame de Germigny-l’Exempt : un patrimoine à surveiller

J’invite ceux qui voudraient aller plus loin à visiter la page Saint-Gilles, Laon et Germigny de ce blog. D’autres articles paraîtront cette année dans d’autres revues scientifiques ou populaires (notamment fin août), comme je l’annonçais précédemment. Deux mille vingt-deux sera aussi l’année de publication des Trois Deniers de Gaspard. Bonne lecture à tous. – E.L.

Notre-Dame de Germigny-l'Exempt

« Les proportions de cette façade sont étonnantes! » – Yves Esquieu

Saint-Gilles, Laon et Germigny

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De Medio Aevo, la revue internationale d’histoire de l’art médiéval publiée par l’université de Madrid, a fait paraître son édition inaugurale de 2021. Elle comporte un article consacré à l’analyse comparée des tympans nord de l’église abbatiale de Saint-Gilles du Gard et de la cathédrale Notre-Dame de Laon avec ce que j’ai appelé le « portail de cathédrale en miniature » de Notre-Dame de Germigny-l’Exempt, église très insolite, et très ignorée dont Willibald Sauerländer – qui, comme on sait, n’est pas étranger à cette entreprise – regrettait qu’elle n’ait jamais attiré sur elle l’attention qu’elle mérite.

Les amoureux du patrimoine religieux exceptionnel du Moyen Age pourront lire l’article complet et gratuit en ligne, soit sur le site des éditions universitaires de Madrid, soit sur la plate-forme HAL du CNRS.

Cet article n’est que l’entrée en matière d’une série de livraisons qui auront lieu cette année. A suivre: un papier substantiel sur le siège bien étrange de Germigny-l’Exempt en 1108, où je propose une explication symbolique du clocher-porche dont le Pr. Yves Esquieu, éminent spécialiste de l’art roman et vétéran de l’archéologie médiévale, m’a confié qu’il trouvait les « proportions étonnantes » . Oui, Notre-Dame est étonnante. Et tous ceux qui la découvrent en conviennent: même aveu d’admiration de la part de Pierre Bonte, qu’on ne présente pas. M. Leday, pareillement, avait posté qu’en m’occupant de Notre-Dame, j’assurais « un apport tout à fait considérable à l’histoire religieuse de l’archéologie du Berry, bien abandonnée des instances ‘patrimoniales‘ », et Guy Devailly « qu’en faisant parler les pierres, (j’arrivais) à concilier différentes approches qui renforcent l’intérêt de ce monument. » De tels parrainages sont beaucoup d’honneur, mais ils suscitent aussi de grands scrupules qui m’ont poussé à explorer, examiner, vérifier sans cesse, bref à remettre cent fois sur le métier un ouvrage dont à plusieurs reprises j’ai pensé ne jamais voir la fin. Je crois y être à peu près arrivé. Rien n’est parfait, sans doute, et le travail du défricheur est ingrat. Mais il est, aussi, exaltant. Ce défricheur n’est d’ailleurs pas dépourvu de repères. Ses points cardinaux s’appellent Willibald Sauerländer, Guy Devailly, André Leguai et Dominique Iogna-Prat. Cela n’empêche nullement qu’il me soit arrivé de contester Sauerländer ou Devailly sur des détails excessivement subalternes; il me semble en effet avoir prouvé qu’il n’y a ni « fleuve du paradis » ni « évangéliste » à Notre-Dame[1], et que les mobiles qui animaient Louis VI au siège de 1108 n’étaient pas aussi désintéressés qu’on l’a avancé dans ce monument de référence, incontournable et d’une solidité généralement granitique, que constitue Le Berry du Xe siècle au milieu du XIIIe

[1] Ces erreurs, en réalité, ne sont pas imputables à Sauerländer. Elles résultent d’une lecture fautive de ceux qui l’ont d’abord recopié de travers pour ensuite passer cinquante ans à se recopier entre eux sans jamais aller voir l’édifice ni visiblement relire (ou lire) Gotische Skulptur in Frankreich. Ce que le savant allemand avait écrit, c’est qu’il existe à Germigny une console dont la figure présente une parenté stylistique avec celles de Saint-Pierre-le-Moûtier et d’une clef de voûte de Vézelay qui seraient des fleuves du paradis. Il n’a jamais prétendu que la figure germinoise était un fleuve du paradis. Et, de fait, ce n’en est pas un. Concernant l’évangéliste, Sauerländer s’est contenté de proposer une interprétation qu’il jugeait visiblement très fragile, en l’entourant de toutes sortes de précautions oratoires, et en lui assignant une typographie sans ambiguïté: parenthèses, point d’interrogation. Ce n’est donc pas le sérieux de Sauerländer qu’il s’agit de remettre en question.

Entretien avec Michel Butor: conclusion (audio)

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Michel Butor:Au XXe siècle, j’attendais beaucoup du XXIe siècle. Seulement le XXIe siècle a commencé si mal et continue si mal que je crois qu’il faut attendre le XXIIe siècle. Pour l’instant… si on ne s’aperçoit pas que les choses vont mal, c’est qu’on est vraiment aveugle. (Conversation Legeard-Butor, 2016)

Jean Raspail et le péché d’intelligence

Vedette

LE DERNIER LIVRE D’EMMANUEL LEGEARD EST PARU AUX EDITIONS L’HARMATTAN : SITE ICI

J’ai été sollicité, avec insistance, pour écrire quelque chose sur la disparition de Jean Raspail. On n’a pas compris pourquoi je m’y refusais, étant donné les jugements évidemment très flatteurs qu’il avait formulés concernant mon « tempérament d’écrivain », la qualité de ce que j’écrivais, etc.

Je tiens ici à écarter toute ambiguïté. D’abord, je ne connaissais pas intimement Jean Raspail. Nous ne nous sommes jamais fréquentés. Je l’avais lu, nous avons échangé une correspondance, nous avons parlé d’homme à homme, mais ce n’était pas un ami au sens où quelqu’un a un jour défini l’amitié: il ne m’aurait sans doute pas aidé à transporter des cadavres sur un coup de téléphone aux alentours de minuit, et sans me poser de questions. Ce n’était pas non plus pour moi un de ces esprits-frères qu’on rencontre deux ou trois fois dans une vie, comme j’ai eu la chance de rencontrer Fred Kassak. Raspail signait ses courriers « Amicalement« , ce qui témoignait évidemment d’une cordiale estime, d’ailleurs réciproque, et peut-être même d’une certaine fraternité de l’esprit, mais il ne s’agissait en aucun cas d’une marque excessive d’intimité.

Raspail

Jean Raspail signait toujours « Amicalement », comme sur cette carte de vœux de 1997 envoyée de Neuilly: « Les écrivains ne sont plus que des singes », m’écrivait-il alors…

Raspail était un homme de grand talent, un caractère hors norme, bref un « génie » dans le sens où j’ai déjà expliqué que j’entendais le mot, autrement dit quelqu’un d’irremplaçable au milieu d’une foule moléculaire dont Brassens déplorait déjà en 1969 dans son entretien avec Santelli qu’elle était de plus en plus interchangeable. Car Raspail portait en lui une qualité native, un ingenium, une farouche volonté d’être lui qui le différenciait essentiellement des quantités négatives. Et l’on ne pouvait rencontrer l’auteur de Terre de Feu – Alaska, converser avec cet arpenteur cosmique et ouranien, sans éprouver instantanément pour sa personnalité un viril sentiment de sympathie au sens fort du terme. Personne, jamais, ne viendra prendre la place de Raspail et sa disparition mutile nécessairement le grand organisme qui rattache au monde tous ceux qui l’ont – ne serait-ce qu’un peu – connu.

En y repensant, néanmoins, je me suis souvenu d’une chose qui, venant de lui, m’avait fait profondément réfléchir (*). Il m’écrivit un jour à l’encre noire, sur un beau papier gaufré d’un beige très pâle:

« Méfiez-vous surtout du péché d’intelligence! »

Je lui demandai de développer, et une conversation s’ensuivit, extrêmement fructueuse pour mon cheminement personnel, sur l’Œdipe Roi de Sophocle et le péché originel. Raspail m’expliqua: Vous voyez, ce que Sophocle a agité devant les Grecs, qui étaient le peuple le plus intelligent de la terre, c’est l’hybris par excellence, celle de l’intelligence. Quand l’intelligence est employée à lutter contre la puissance souveraine du destin, le malheur n’est pas loin. Il discernait la même chose dans le symbolisme de la Chute. Le péché originel, pour lui, était péché d’intelligence – le refus d’être une créature, la volonté de mettre entre le monde et soi un néant, une discordance; « l’intelligence ». Je lui répondis qu’il sartrisait. – « Mais pourquoi non? Sartre, répliqua-t-il, était après tout quelqu’un de très intelligent. »

Emmanuel Legeard, samedi 18 juillet 2020, Rouen

(*) « Le peuple français est le plus intelligent de la terre, a dit un jour Edgar Faure; voilà pourquoi il ne réfléchit pas. »

Bientôt disponible!

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Malgré le confinement qui entrave le bon fonctionnement des maisons d’édition, le prochain livre sera publié bientôt, additionné d’une splendide préface du grand Pierre Bonte pour qui tous les reporters français ont autant d’affection que d’admiration…!

Préface:

« On ne peut pas comprendre la France si l’on n’a pas pris la mesure de ce sentiment profond et partagé par tous les Français : l’amour du clocher. De Joachim du Bellay, à qui plaisait mieux son « petit Liré que le mont Palatin », au secrétaire de mairie éditant à ses frais une plaquette sur l’histoire locale, il a inspiré une littérature d’une abondance stupéfiante. Quand ce clocher est un rare clocher-porche du 12ème siècle, un trésor d’art roman et de gothique mêlés, au cœur d’un village plus que millénaire, on imagine encore mieux la passion qu’il peut susciter. C’est elle qui a conduit Emmanuel Legeard à se lancer dans un long et mouvementé voyage à travers les siècles pour reconstituer aussi fidèlement que possible l’histoire de Notre-Dame de Germigny. Afin de situer son importance dans la grande histoire de la France et de la chrétienté, il n’hésite pas à nous faire remonter jusqu’à Charles Martel et au roi Childéric, rafraîchissant au passage quelques lointains souvenirs scolaires. En le suivant dans son minutieux récit, nous comprenons comment le village de Germigny-l’Exempt, aujourd’hui réduit à 300 habitants, a pu se doter d’une église aussi somptueuse, d’une telle richesse artistique. Grâce à la précision de son regard et de ses commentaires, nous admirons davantage encore les multiples merveilles d’un édifice qui fait la fierté de toute une région. Comment expliquer qu’en quinze années d’émissions « Bonjour, Monsieur le Maire », je n’ai pas eu la chance de le découvrir ? Merci à Emmanuel Legeard de combler enfin cette grave lacune ! Dans une période difficile pour la France rurale, où tout se conjugue, semble-t-il, pour décourager ceux qui, comme lui et moi, veulent encore croire en un avenir pour nos villages, son remarquable ouvrage apporte une réconfortante illustration de cet amour du clocher qui nous réunit et dont la force fait parfois des miracles… » Pierre Bonte

Entretiens Inactuels (MàJ!)

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Les Entretiens inactuels que nous avons exclusivement distribués gratuitement et à la demande via la Société des Amis d’Emmanuel Legeard ne sont plus disponibles. Face à l’insistance des lecteurs, l’auteur a décidé de les rééditer, augmentés et modifiés. Dans l’état actuel des choses, nous n’avons pas encore contacté d’éditeurs, bien que nous ayons eu assez fortement le Cherche-Midi en tête. Nous vous tenons informés. Merci. AT 

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Colloque international

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« Technè, techniques et technologie dans l’œuvre de Michel Butor »

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Colloque international à Thessalonique, 17 et 18 Mai 2017 (Αuditorium de la Bibliothèque Centrale)

Ce colloque est organisé par le Laboratoire de Littérature Comparée, le Laboratoire de Traduction et de Traitement automatique du langage et la Section de Littérature du Département de Langue et de Littérature Françaises de l’Université Aristote de Thessalonique.

Corpus de discussion:

Entretien de Michel Butor avec Emmanuel Legeard

A Conversation with Michel Butor By Anna Otten

Michel Butor, Entretien « à l’écart » (Eden’Art, 1993)

Entretien de Michel Butor à Pierre Caran (2007)

Le blog de Didier Pobel : Chez Michel Butor, ce jour-là

Entretien de Michel Butor à Philippe Vandel

Présentation du film « La Modification » sur IMDB

En lisant, en écrivant…

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J’avais été surpris par la qualité d’écriture de Jean-Claude Brialy en lisant son autobiographie Le Ruisseau des singes. Je me suis donc procuré la suite que Brialy a donnée au Ruisseau: J’ai oublié de vous dire, paru en 2004 chez Bernard Fixot, et dont on se demande d’ailleurs pourquoi il n’a pas fait l’objet d’un téléchargement sur Google Books alors que le reste du stock y figure. Quoi qu’il en soit, je tombe page 71 sur ce passage, et j’ai un instant d’hébétude:

« Pour Carambolages, l’histoire d’un jeune homme ambitieux assassinant tous ses supérieurs pour accéder au sommet, Marcel Bluwal avait d’abord eu l’idée de proposer le rôle du grand patron à Bernard Blier, ce qui était une très bonne idée. En plus de ses qualités d’acteur, Blier était quelqu’un que j’adorais en tant qu’homme. Cependant, je me permis de faire une petite remarque à Marcel Bluwal et au producteur, Alain Poiré:

– Je crois qu’il serait peut-être plus intéressant de prendre pour le rôle quelqu’un d’insolite, de non conventionnel. Blier est parfait, il a « la gueule de l’emploi », l’autorité, l’humeur de dogue, mais Louis de Funès aurait certainement quelque chose de plus à apporter à ce personnage.

Tollé général.

– Allons bon, tu es un fou, Louis de Funès? Il est fait pour les seconds rôles, il ne fait pas le poids!

Mais j’insistai tant et tant que finalement ils acceptèrent d’engager Louis qui donna toute sa mesure. Je passai la totalité du tournage à lutter contre les crises de fou-rire que déclenchait en moi, à chaque prise, son génie.

Parfois, Bluwal se levait et, fixant Louis avec ses yeux sombres, lui disait d’une voix d’outre-tombe: « Attention, vous en faites trop, cela va faire rire », signifiant par là qu’il en rajoutait peut-être un peu. Cette remarque devint très rapidement un private joke entre Louis en moi. Chaque fois que nous avions le plaisir de nous rencontrer, les blagues fusaient: « J’ai vu ton dernier film. Attention, tu étais drôle!… Tu n’as pas vu Bluwal? Parce que, attention, ça risque d’être drôle! »

Or Fred Kassak, dans un accès d’excessive sévérité envers lui-même, m’avait écrit un courrier où il se reprochait presque d’avoir été le seul, pensait-il, à avoir trouvé mauvaise l’adaptation de Carambolages par Marcel Bluwal. N’ayant pas été convié au tournage ni invité à donner son opinion, il pensait que sans doute Bluwal, seul maître à bord, avait décidé – en accord avec Audiard et Poiré – de donner à la mise en scène et aux dialogues cette tournure burlesque qui le rebutait.

D’abord un grand merci pour votre introduction à notre entretien. Je pourrais faire des manières et jouer à celui qui ne mérite pas une si élogieuse appréciation, mais elle correspond si bien à ce que j’ai voulu faire en écrivant ce que j’ai écrit que, bon, tant pis pour la modestie, je suis carrément heureux et fier de vous l’avoir inspirée…

En réalité, Fred Kassak n’avait commis aucun excès de langage, et ses jugements n’avaient rien de péremptoire. D’une grande élégance morale, très éloigné par caractère de toute fatuité, sans méchanceté, et par ailleurs soucieux d’exactitude, il n’avait aucune raison de s’auto-censurer. J’apprends maintenant, malheureusement trop tard pour le lui dire, que le fiasco de Carambolages résultait d’une déplorable initiative de Brialy, lequel n’avait pas compris – question de sensibilité, et non d’intelligence – qu’effectivement il infligeait à Kassak le gentil petit supplice d’assister à la défiguration complète de son roman. Bluwal, Kassak l’ignorait, désapprouvait le remplacement de Blier par de Funès, et voyait bien que le ton burlesque s’harmonisait difficilement avec l’ensemble. Ainsi, le jugement de Fred s’avère avec le recul d’une sûreté extraordinaire puisqu’il est confirmé par le fauteur de goût lui-même quand celui-ci décrit de Funès en héritier de Laurel et Hardy. Surprenant! Kassak, de son côté, m’avait confié: « Blier, par exemple, oui, mais de Funès! Je n’ai rien contre de Funès, mais là, il est à contre-emploi ».

Kassak, sans doute, a souffert de ces adaptations. L’œuvre, plus encore que l’homme. Pourtant, quelle subtilité psychologique, quelle intensité et quel style extraordinaire dans un roman comme Savant à livrer le…! En le recensant stupidement comme « roman d’espionnage », on l’a condamné à être jeté en pâture aux cochons. Crime et châtiment, probablement, n’aurait pas eu plus de succès si les marchands de soupe avaient eu l’idée absurde de l’étiqueter « roman policier ». Kassak, c’est un fait, ne s’est pas remis des choix éditoriaux déplorables et des adaptations désastreuses qui ont fait passer au second plan une œuvre qu’on peut résolument qualifier de géniale: Qui a peur d’Ed Garpo, Savant à livrer le… lectures inoubliables. Littérature extraordinaire.

Je rêverais d’entendre sonner mon téléphone ou de recevoir le courrier d’un ou d’une étudiante, un jour, et qu’on me dise: « Je consacre ma thèse à Fred Kassak, pourriez-vous me communiquer vos documents le concernant? » Mais plutôt que d’imaginer ce qui n’a malheureusement qu’infiniment peu de chance de se produire, je vais certainement finir par le faire moi-même, ce travail biographique. Bernard Fixot serait-il disposé à le publier? Il reste à le lui demander.